Article de Sophie Guignard, SOSF

Deux motions UDC identiques demandent l’échange systématique de données sur les personnes au statut de séjour illégal entre les assurances sociale et de santé et les autorités cantonales et communales.

Les deux motions UDC (déposées simultanément aux États et au National) exigeant de systématiser l’échange des données concernant les « immigrés illégaux » est un exemple parfait de l’acharnement polémique sur les symptômes qui accompagne inévitablement un aveuglement volontaire sur les causes structurelles.

Sous couvert de « lutter durablement contre l’immigration illégale en Suisse et si possible d’y mettre un terme », le texte exige que les assurances et les caisses maladies communiquent systématiquement aux cantons et aux communes au sujet du statut de séjour des personnes qui cotisent. Cette proposition est une attaque frontale des droits fondamentaux et ignore complètement la réalité des personnes sans-papiers.

Ce qui n’avait pas passé il y a cinq ans risque de franchir la rampe aujourd’hui.

Parler de migration illégale c’est taire le fait qu’elle est avant tout illégalisée. Pour les ressortissant·es extra-européen·nes il n’y a que trois solutions pour exister sur le territoire européen : 1) être une spécialiste qualifiée dans une branche économique qui en a besoin 2) l’asile 3) le franchissement de frontières ou le séjour irrégulier. Il faut être soit très riche et éduqué, soit persécuté, soit se mettre dans une situation irrégulière précaire et dangereuse. 

On estime dès lors à 100’000 le nombre de personnes vivant en Suisse avec un statut de séjour irrégulier. Il peut s’agir de personnes qui sont arrivées en Suisse avec un visa qui a ensuite expiré, de personnes étrangères qui ont divorcé ou de victimes de violences domestiques qui ont perdu leur permis de séjour parce qu’il dépendait de celui de leur agresseur, ou encore, ce sont des personnes étrangères qui ont perçu « trop » d’aide sociale.

À lire le discours de l’UDC on a surtout vite fait d’oublier qu’il s’agit aussi de personnes qui font marcher le pays, certaines depuis plusieurs dizaines et des dizaines d’années. Elles font partie des celleux qui permettent que les salles d’opération des hôpitaux soient en état de fonctionner, que les enfants soient éduqués, que les cantines universitaires nourrissent les étudiant·es, que les routes, les bâtiments, les infrastructures soient construites ou encore que les rues soient propres. On oublie surtout qu’elles permettent au système néo-libéral de fonctionner. Les personnes dont le statut de séjour est précaire sont celles qui acceptent les travaux ingrats, mais nécessaires, avec les salaires indigents que d’autres personnes refusent. « L’attrait de la Suisse » que décrit l’UDC c’est la possibilité de travailler et de faire grandir ses enfants.

En 2020, le Conseil fédéral avait rendu un rapport en réponse à un postulat de la Commission des institutions politiques du Conseil National (CIP-CN). Ce rapport évoquait notamment la question d’un échange automatique de données entre les organes chargés d’appliquer les assurances sociales et les autorités migratoires. Le rapport rappelait que les personnes sans-papiers peuvent ou ont l’obligation de s’affilier à de nombreuses assurances et peuvent bénéficier des prestations qui en découlent. Elles sont cependant exclues de l’assurance chômage, des prestations complémentaires et n’ont pas le droit à l’aide sociale.

Un échange des données entre les institutions aurait pour conséquence d’exclure les personnes sans-papiers des assurances sociales. Selon le Conseil fédéral, une exclusion générale des sans-papiers de ces assurances violerait les engagements internationaux de la Suisse. En outre, les coûts s’en répercuteraient sur la santé, les cantons et les communes.

Dans ce rapport, le Conseil fédéral rejetait également, à notre grand regret, les régularisations partielles ou collectives, qui n’auraient, selon eux, pas de solution sur le long terme face au séjour illégal.

Nous rejoignons l’UDC sur ce point, il faut des solutions contre le séjour illégal. Par contre, notre perspective est radicalement différente : la solution simple et réaliste n’est pas le triptyque expulsions massives, privation des droits et fermeture des frontières, cher à l’UDC. Il faut plutôt ouvrir l’horizon politique et viser régularisations collectives, égalité des droits et liberté de mouvement.