Article de Sophie Malka – asile.ch
Dans sa motion 24.4292 demandant à «Mettre un terme aux demandes d’asile déposées pour profiter d’un traitement médical en Suisse», la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR) s’appuie sur deux ressorts argumentatifs. Le premier active le fameux mythe du «faux réfugié» qui n’aurait pas besoin de la protection de la Suisse et viendrait en Suisse juste pour profiter du système. Et le système en question, serait ici le système de santé. Le deuxième consiste à partir d’un exemple qui a «défrayé la chronique» pour en faire une généralité sans avancer de données chiffrées. En l’occurrence, des Georgiens qui seraient venus en Suisse dans le but de se faire soigner «pour des sommes parfois exorbitantes». La motion, approuvée au Conseil national, doit être discutée au Conseil des Etats le 15 septembre 2025. Décryptage et commentaire.
Le mythe du « faux réfugié »
Jacqueline de Quattro affirme que «De nombreux ressortissants provenant de pays qui ne donnent pas droit à l’asile viennent en Suisse pour se faire soigner aux frais de la collectivité».
On hésite à croire que Madame de Quattro aurait besoin d’un petit cours de droit international. On le rappelle, il n’existe aucun pays d’origine «qui ne donne pas droit à l’asile». La Charte des Nations Unies prévoit que «Face à la persécution, toute personne a le droit de fuir son pays pour chercher refuge dans d’autres pays.» (art.14)
Madame de Quattro précise ensuite sa pensée: elle parle de «réfugiés économiques demandant l’asile» ou de requérant·es «sans réels motifs d’asile». Là encore, il paraît trivial de rappeler que si une personne n’a pas de motifs d’asile, elle reçoit une décision négative. Et qu’un problème de santé n’est pas un motif d’asile dans le droit suisse.
Généraliser à partir d’un cas particulier
La motion de Madame de Quattro, qui décrit un «phénomène» s’appuie en particulier sur «les cas de certains Géorgiens ont défrayé la chronique, pour des sommes parfois exorbitantes. Ces personnes ont déposé une demande d’asile d’avance vouée à l’échec. Ils en ont profité pour se faire soigner pendant la période d’évaluation de leur demande. Puis ils sont retournés dans leur pays d’origine.»
Un «phénomène»? Fin 2024, les médias se faisaient l’écho de 9 personnes originaires de Georgie en attente d’une greffe au CHUV et titulaires d’un permis F. Deux d’entre-elles étaient mineures. L’hôpital avait affirmé que ce nombre était exceptionnel par rapport aux autres années. (RTS, 24 octobre 2024) Cela n’a pas empêché le PLR de monter au créneau, aux niveaux cantonaux et fédéraux, la Conseillère d’Etat Isabelle Moret en tête. Si ces quelques cas sont réels et les questions légitimes -encore qu’on n’en connaisse pas tous les détails – la façon dont Madame de Quattro procède à une généralisation tout en jetant l’opprobre sur les demandeurs d’asile, voire les permis F, en abusant du terme «abus» et «profiter», alimente les préjugés.
Le permis F et les cas uniquement médicaux
«Dans certains cas, la situation médicale des personnes en question est un obstacle au renvoi.»
Madame de Quattro fait référence à une autre dimension du droit, celle liée à l’octroi d’une admission provisoire: des personnes dont la demande d’asile a été rejetée mais dont le renvoi est inexigible, illicite ou impossible, justifiant l’obtention d’une protection sous la forme du permis F.
En 2024, 90 personnes ont reçu une admission provisoire (permis F) pour raisons uniquement médicale en Suisse. Seuls les cas médicaux graves sont concernés, et uniquement lorsqu’un traitement médical n’est pas accessible dans le pays d’origine ou de provenance. Contrairement aux accusations de tourisme médical, rappelons que le droit suisse prévoit déjà que «La seule absence de possibilité de traitement médical conforme aux standards suisses dans le pays d’origine ou de provenance ne rend pas l’exécution du renvoi inexigible». (Manuel asile et retour du SEM, article E3, 3.2.2.1 p.15). Plus d’informations ici.
Année | 2021 | 2022 | 2023 | 2024 |
Nombre d’admissions provisoires pour raisons médicales | 161 | 114 | 127 | 90 |
Précision sur les permis F. Il paraît enfin utile ici de rappeler que la majorité des personnes à qui la Suisse est tenue d’octroyer une protection sous forme d’admission provisoire viennent de pays en guerre ou en conflit et que la Suisse violerait ses obligations internationales en exécutant ces renvois. Dans l’Union européenne, les mêmes cas obtiendraient une protection provisoire.
Les frais dentaires et orthodontiques: à la charge du contribuable?
Selon Mme de Quattro, «de nombreux migrants économiques demandant l’asile saisissent cette opportunité pour obtenir des traitements dentaires, voire orthodontiques.»
Toujours aucun chiffre, toujours la suspicion: ici, nous renvoyons à une récente enquête du media en ligne Watson sur le système de soins dentaires appliqué non seulement aux personnes en procédure d’asile, mais aussi aux personnes titulaires d’une admission provisoire ou du statut S. Le titre de l’enquête est éloquent: «Pourquoi la Suisse arrache les dents des réfugiés ? » On y découvre qu’en guise de traitement dentaire ou orthodontique, les personnes ont le choix entre des Ibuprofen ou l’arrachage de dents. Pas sûr que les Suisses à l’aide sociale seraient très heureuses et heureux de se voir traiter ainsi. De fait, l’enquête révèle qu’à long terme, cela risque de revenir plus cher à la collectivité, au vu des conséquences médicales de ces traitements qui s’avèrent soit insuffisants, soit invalidants. Là encore, il s’agit de rappeler que les personnes titulaires d’un permis F sont amenées à séjourner durablement en Suisse, car il s’agit bel et bien d’une protection. A ce titre, il nous paraît même utile de soutenir la demande émanant des médecins-dentistes de permettre aux titulaires d’un permis F d’avoir accès aux mêmes prestations que les réfugiés après trois ans de séjour en Suisse.
Prendre Madame de Quattro au mot pour proposer un changement de système ?
D’ailleurs, nous pourrions même prendre Madame de Quattro au mot lorsqu’elle s’érige en défenseuse de la «tradition humanitaire»: «les personnes qui ont besoin de la protection de la Suisse et qui déposent une demande d’asile en conséquence doivent pouvoir avoir accès aux mêmes prestations de santé que les autres personnes résidant en Suisse. Mais pas les requérantes et requérants sans réels motifs d’asile. Ceci est conforme à notre tradition humanitaire.»
En effet, dans la mesure où l’on considère que l’admission provisoire est une protection internationale octroyée en raison des risques de torture ou pour la vie qu’entrainerait un renvoi (il s’agit d’une interdiction faite à la Suisse de procéder à un tel renvoi sous peine de violer ses obligations internationales), on peut légitimement demander à Madame de Quattro de soutenir l’accès des permis F et des réfugiés d’Ukraine (statuts S) aux mêmes prestations de santé que les autres personnes résidant en Suisse. Et à tout le moins de soutenir la demande des médecins-dentistes.
L’accès aux soins des requérant·es d’asile
Une personne qui demande l’asile en Suisse a droit aux soins médicaux de base garantis par la LAMal. Dès sa sortie d’un Centre fédéral d’asile, la personne est attribuée à un canton qui s’occupe de l’inscrire auprès d’une assurance si elle n’a pas les moyens de payer sa prime. Elle ne peut choisir ni la caisse, ni le modèle d’assurance, ni la hauteur de la franchise. L’article 82a de la Loi sur l’asile autorise les cantons à restreindre le choix et le modèle de l’assureur, ainsi qu’à limiter les fournisseurs de prestations pour les demandeurs d’asile et les personnes à protéger. Ce qu’ils font, afin d’avoir accès aux solutions les plus avantageuses. Dans certains cantons, il faut d’abord passer par son assistant·e social·e ou un·e infirmier·ère avant de voir un·e médecin. Le détail des restrictions et modalités d’accès aux soins par canton romand est disponible ici.
Commentaire
Qui profite de qui ? Une motion à caractère populiste
A la lumière des faits, on ne peut que qualifier cette motion, et les nombreuses tribunes que Madame de Quattro a publiées sur le sujet, de populiste. Les coûts de la santé sont un enjeu majeur pour de nombreuses personnes modestes et pauvres en Suisse, tant ils pèsent sur le budget des ménages. S’arranger avec les faits pour se présenter comme la protectrice « du contribuable » est hypocrite, sachant que son propre parti, surreprésenté dans les conseils d’administration des assureurs, s’oppose systématiquement au principe de la prime maladie en fonction du revenu. S’appuyer sur une anecdote pour parler d’un phénomène et créer de la suspicion envers une majorité de demandeur·euse d’asile est une façon de stigmatiser. Et lorsque l’objectif est de mettre en place des mesures discriminantes, la méthode est condamnable.
Malheureusement, les préjugés et amalgames véhiculés dans ce genre d’objets parlementaires sont par la suite portés à la tribune du Parlement, puis reportés dans les médias. Le fait que le Conseil fédéral propose d’accepter la motion n’est évidemment pas un progrès démocratique, puisqu’il donne du crédit à de fausses informations.
UDC & PLR main dans la main ?
On finira par rappeler que cette motion s’inscrit dans une attaque plus large et répétée de démantèlement du droit d’asile à travers la question des coûts de la santé, de la part du PLR et de l’UDC depuis quelques années. A voir qui ira le plus loin dans les contre-vérités: le 2 septembre 2025, l’UDC s’est fendue d’une conférence de presse sur les coûts de la santé, avec des chiffres mensongers sur lesquels asile.ch a proposé un fact-checking.