Article de Sophie Guignard, SOSF

L’UDC entend suspendre le programme de réinstallation du HCR (motions 25.3625 et 25.3601). Ce programme permet à des personnes réfugiées spécialement vulnérables des camps extra-européens d’être amenées de manière sûre dans les pays qui acceptent de participer au programme, pour y déposer une demande d’asile. En Suisse, le nombre de personnes concernées ne dépasse pas le demi-millier par année. 

L’UDC s’attaque ainsi à une mesure qui n’a finalement que peu d’impact pour la Suisse. Mais le texte déposé par le parti et défendu par son responsable de l’asile remplit une autre fonction. Il fait partie intégrante de la stratégie politique de l’UDC: profiter de la moindre occasion pour déverser sa propagande anti-immigration et ainsi s’attaquer aux droits fondamentaux.

Il faut reconnaître que cela fonctionne plutôt bien. Qui suit les développements de la politique migratoire au Parlement voit que le désormais plus grand parti de Suisse joue sur la durée. Il est responsable du plus grand nombre d’interventions parlementaire sur l’asile. Certains des objets parlementaires déposés sont des copiés-collés de propositions refusées lors de sessions précédentes. Cela finit par payer parce que cet accaparement de l’espace politique leur permet de marteler leur propagande anti-immigration. C’est pour cela qu’il est important d’être vigilant·e et de comprendre les mécanismes de leur discours.

Si nous avons choisi de commenter cette motion en particulier, c’est justement parce qu’elle représente un florilège quasi exhaustif de leur stratégies discursives.

Des chiffres incorrects

Le texte UDC accompagnant la motion annonce et dénonce l’accueil de 1600 personnes, le Conseil fédéral, dans sa réponse à la motion le corrige : il s’agit de quelques dizaines de personnes pour 2025 et de 400 personnes par année pour 2026 et 2027, un total d’environ 850, soit un peu plus de la moitié de ce que clament les motionnaires.

Plus loin, l’UDC demande que le programme de réinstallation soit suspendu jusqu’à ce que le nombre de personnes en cours de procédure d’asile passe en dessous des 50’000. Or, c’est déjà le cas, le nombre de personnes en procédure d’asile était de 18’894 fin 2023 et de 17’029 fin 2024. Deux possibilité : soit la personne qui a rédigé le texte de la motion s’est trompée de ligne en lisant le tableau statistique du SEM, soit il y a une mécompréhension du système de l’asile. Dans les deux cas c’est inquiétant de la part du parti qui en fait son sujet politique principal.

Les tropes du chaos et de l’insécurité

« Un système d’asile surchargé »

Les statistiques contredisent l’idée d’une surcharge du système de l’asile. Sur les dix dernières années le nombre de nouvelles demandes d’asile annuelles est de 22’279 en moyenne, en comptant l’été de la migration en 2015, année record. Or, le nouveau système d’asile a été conçu pour supporter jusqu’à 29’000 nouvelles demandes par année. Depuis l’implémentation de la réforme, cette limite n’a été franchie qu’une fois, en 2023, avec 30’223 nouvelles demandes annoncées par le SEM. Mais cette appellation est trompeuse, comme le démontre un décryptage par asile.ch. 19% de ces nouvelles demandes étaient des demandes secondaires, c’est-à-dire émanant de personnes déjà en Suisse ou alors il s’agissait de naissances (dans 49% des cas). S’il est vrai que certaines périodes se sont révélées plus tendues en termes de nombre de personnes à accueillir, cela provenait surtout d’un manque d’anticipation et d’organisation.

Dès 2022, la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine a poussé de nombreuses personnes sur les routes de l’exil. Loin du chaos annoncé, cela a surtout permis de démontrer qu’il est possible, en matière de protection, d’agir vite et efficacement. Le statut S a été mis sur pied, en collaboration avec l’Union Européenne. Il a ainsi permis à près de 75’000 personnes d’être enregistrées, régularisées et logées en dehors du système ordinaire de l’asile. Une success story dont on ferait bien de s’inspirer, plutôt que de vouloir en détruire le modèle. Comme devinez qui ? Eh oui, l’UDC, qui souhaite supprimer le statut S et le remplacer par une procédure d’asile ordinaire. Apparemment, le parti de droite populiste affectionne les prophéties auto-réalisatrices. 

Plus de coûts

L’asile représente certes 3.4% du budget de la Confédération. Mais ces dépenses rapportées au produit intérieur brut national donnent une image éloquente : les dépenses pour l’asile représentent 0.4% du PIB. En 2018, l’économiste Cédric Tille affirmait que « Si on compare le PIB suisse au prix d’un bon repas au restaurant, le coût de l’asile ne représente même pas le prix du sucre servi avec la café ». Or, en 2018 l’asile représentait 1% du PIB. En 2024 le budget de l’asile ne représente donc même pas le prix d’un demi-sucre servi avec le café. Le budget de l’asile pourrait encore doubler que notre économie ne serait toujours pas en danger.

Plus de criminalité

L’UDC ADORE rendre l’origine des gens responsable de la criminalité, encore plus lorsqu’il est question de l’asile. Mais cette corrélation ne fonctionne pas vraiment. Selon le chercheur Luca Gnaedinger, le nombre d’infractions pénales enregistrée est tendanciellement en légère baisse depuis les années 80 alors que la population étrangère a plus que doublé. La population étrangère ne fait pas augmenter le taux de criminalité. Par contre, il est vrai que la population étrangère est surreprésentée dans les statistiques criminelles et la population carcérale. Cela s’explique entre autres par deux facteurs importants. Premièrement, la statistique de la criminalité comprend les infractions aux lois sur le séjour. Non seulement ces délits ne font pas de victimes, mais en plus ils ne peuvent pas être commis par des personnes suisses. Ensuite, la Suisse a moins un problème de criminalité qu’un problème de répression. Un coup d’œil à la population carcérale nous le montre encore : 20% des personnes y purgent une peine en rapport avec un délit sur le séjour. En 2022, selon les statistiques, 53% des détenu·es condamné·es étaient en prison uniquement parce qu’iels ne pouvaient pas payer une amende ou une peine pécuniaire. Si les personnes étrangères sont surreprésentées dans cette catégorie, c’est parce qu’elles sont surreprésentées dans la population pauvre.

Des loyers plus élevés

Si les loyers suisses augmentent depuis 20 ans, c’est principalement parce que propriétaires et régies immobilières ne sont pas empêchés de le faire. Selon l’association de défense des locataires, les ménages locataires paient en moyenne 4320 francs de loyer en trop par année. Le montant de ces loyers abusifs représentait 10 milliards de francs pour 2024 ! Les bailleurs, et particulièrement les grands groupes immobiliers cotés en bourse, augmentent les prix jusqu’à la limite du supportable au changement de locataire, ou ne répercutent pas les baisses du taux de référence. Et la part des grandes sociétés sur le marché immobilier ne cesse de croître. Il est prudent d’avancer que les personnes issues du domaine de l’asile sont rarement représentées dans la catégorie des propriétaires. Par contre, devinez quel parti a refusé les dernières initiatives de protection des droits des locataires ?

Cynisme et mépris

La dernière partie du texte d’argumentation de la motion est encore plus forte de café. Le groupe UDC reproche au programme de réinstallation de ne pas « lutter contre les causes amenant ces personnes à prendre la fuite ou d’apporter une aide sur place ». C’est vraiment paradoxal quand on considère leur vote sur l’exportation de matériel de guerre, le refus de sanctions envers la Russie à la suite de sa guerre d’agression contre l’Ukraine, la demande de suppression de l’aide suisse à l’UNWRA ou encore l’enthousiasme avec lequel les parlementaires UDC ont coupé dans le budget de l’aide au développement

Mais attendez, on a pas encore touché le fond : « La réinstallation envoie un mauvais signal : ceux qui ne s’en sortent pas par eux-mêmes sont tout simplement acheminés chez nous par avion. » Rappel important : pour les ressortissant·es extra-européen·nes, le seul moyen d’arriver légalement en Suisse c’est d’être un·e travailleur·se ultra qualifié·e ou alors d’avoir obtenu un visa humanitaire. La Suisse délivre en moyenne une centaine de ces visas par année (et elle en a récemment refusé un à une famille qui ne serait pas en danger si elle se plie aux règles des talibans). « Ceux qui s’en sortent par eux-mêmes » sont donc les personnes qui traversent le désert du Niger, la Méditerranée, l’Atlantique ou la route des Balkans. Ces mêmes personnes que l’UDC va qualifier de « migrants illégaux », alors que la Convention de Genève sur le statut de réfugié prévoit le franchissement irrégulier des frontières. 

Enfin, l’UDC fait furieusement penser à la grenouille qui se veut plus forte que le bœuf. La réinstallation de 800 personnes réfugiées par année favoriserait « les mouvements migratoires à l’échelle mondiale ». Les mouvements migratoires à l’échelle mondiale, et plus précisément la recherche de protection, c’est 281 millions de personnes, dont 69% se réfugient dans un pays voisin. En outre, 71% des personnes sont accueillies dans un pays à revenu faible ou moyen. L’Europe n’accueille qu’une faible partie des personnes réfugiées au niveau mondial. Les 400 personnes par année tant craintes par l’UDC ne devraient pas nous plonger dans une crise.

Par contre, la multiplication d’objets parlementaires, session extraordinaire après session extraordinaire, qui véhiculent des contre-vérités, exagérations et mépris crasse du droit international, vont à terme, si on ne les arrête pas, nuire sérieusement à notre démocratie. Comme le montrent les autres objets défendus par l’UDC durant cette session, la xénophobie qu’ils alimentent sert de combustible pour s’attaquer aux piliers de l’État de droit, et donc de la démocratie. Le danger est là.