Article de Raphaël Rey, CSP
Le Pacte européen sur la migration et l’asile consiste en une réforme complète du régime d’asile européen commun (RAEC). La Suisse doit en reprendre une grande partie d’ici à l’été 2026. Très concrètement, elle doit reprendre le règlement sur la gestion de l’asile et de la migration (RGAM), le règlement Eurodac, ainsi que d’autres règlements de l’UE dans les domaines du retour, du filtrage et de la gestion de crise[1].
Fin mars, le Conseil fédéral présentait son paquet législatif, maintenant entre les mains du Parlement. Après le Conseil national, c’est au tour du Conseil des Etats de s’y pencher. A priori, lors de la même session, l’objet reviendra au CN dans le but de finaliser l’adoption de cette modification de loi.
Pour le CSP et les autres acteurs de la société civile, ce pacte constitue une attaque frontale au droit d’asile et aux droits fondamentaux des personnes en exils.
Réforme du RAEC : de quoi s’agit-il exactement ?
L’objectif affiché de la réforme est d’accélérer les procédures, de permettre une gestion coordonnée des crises et d’instaurer un partage des responsabilités plus solidaire entre les États membres Schengen/Dublin. Dans les faits, le pacte instaure à l’entrée du territoire européen une procédure de tri pour toute personne étrangère tentant de franchir irrégulièrement sa frontière. Des contrôles obligatoires d’identité, de sécurité et de santé détermineront la procédure applicable et le droit d’entrée sur le territoire des États membres. Sur cette base, une grande partie des personnes en demande d’asile pourront être considérées comme n’étant pas entrées sur le territoire de l’UE, être retenues pendant plus de 24 semaines dans des camps à caractère carcéral et soumises à des procédures expéditives aux frontières extérieures de l’Europe. Ajoutons à cela l’extension des critères permettant de considérer un pays tiers comme « sûr » et la multiplication des accords de réadmission avec des États tiers connus pour leurs violations des droits humains.
Pour les personnes qui échapperont à ce premier filtre et arriveront sur le territoire suisse, leur situation juridique sera considérablement durcie, notamment par le renforcement drastique des règles de Dublin, ainsi que le développement des bases de données utilisées pour la surveillance et le contrôle des personnes. Nous en donnons ici un aperçu :
Règlement RGAM [UE 2024/1351]
Ce nouveau règlement consolide le système Dublin. Celui-ci reprend largement les critères actuels, malgré le nombre de drames humains qu’ils engendrent. Le pays de première entrée restera ainsi compétent pour traiter la demande d’asile, mais des durcissements importants seront introduits, notamment en ce qui concerne et les délais dans lesquels un État doit procéder au transfert vers l’État désigné responsable. Ainsi, le délai de transfert de six mois, après lequel un État membre devenait jusqu’à présent responsable de l’examen de la demande d’asile, pourra ainsi être prolongé à un an en période de « crise ». Et lorsque la personne « ne satisfait pas aux exigences médicales du transfert », « disparaît » ou « résiste physiquement au transfert », ce même délai pourra être porté à trois ans (contre 18 mois actuellement). De plus, alors que les personnes mineures étaient exclues de cette réglementation, elles pourront désormais – sous conditions – aussi être renvoyées vers l’État compétent selon les règles de Dublin.
Le règlement introduit également de nouveaux mécanismes de sanction (par ex. en cas de migration secondaire) et restreint les conditions d’accueil, ainsi que les prestations sociales des personnes en quête d’asile. Dans le même temps, il élargit les possibilités de détention et en assouplit les conditions.
Autre sujet d’importance, le RGAM introduit un nouveau mécanisme de solidarité, mais celui-ci n’est pas contraignant pour la Suisse. Le Conseil fédéral a donc proposé d’examiner uniquement de manière volontaire si et sous quelle forme la Suisse y participerait. En effet, la manière de participer à la « solidarité » reste optionnelle : les États débiteurs pourront choisir entre l’acceptation d’une relocalisation sur leur territoire d’un nombre donné de personnes et une aide financière ou logistique aux pays concernés par les entrées.
Règlement Eurodac [UE 2024/1358]
Le règlement Eurodac étend l’objet et la portée de la collecte de données biométriques : désormais, des photos faciales, documents de voyage et autres données personnelles seront aussi enregistrés – y compris pour les enfants dès l’âge de six ans. La base de données concernera de nouveaux groupes de de personne (par ex. sans-papiers et personnes bénéficiant d’une protection temporaire) et sera accessible aux autorités de poursuites pénales.
Le projet 25.037 comprend également le règlement sur le filtrage, le règlement sur la procédure frontalière de retour [UE 2024/1349] – peu pertinent pour la Suisse en raison de sa situation géographique et de ses structures spécifiques en matière d’asile – ainsi que le règlement sur les crises [UE 2024/1359], applicable en cas de pressions migratoires extraordinaires ou d’autres situations de violence.
Processus législatif en cours
Lors de la session d’été 2025, seul le mécanisme de solidarité n’a pas passé la rampe au Conseil national. Pour résumer la situation, les libéraux-radicaux ont rejoint l’UDC en votant contre ou en s’abstenant : en effet, le PLR ne veut pas accepter de requérants supplémentaires et préfère participer financièrement uniquement, ou alors pas du tout.
Les trois autres projets ont été validés. Vert∙es et socialistes avaient pourtant fait différentes propositions, toutes rejetées. Parmi elles, une liste de critères contraignants pour les cas dans lesquels la Suisse doit activer la clause de souveraineté − cette possibilité d’entrer une en matière sur une demande d’asile, même si un autre Etat pourrait en principe être responsable – par exemple pour les RMNA, en cas de vulnérabilité importante ou lorsque des proches vivent déjà en Suisse. Notons aussi la proposition de reprendre le statut européen de « protection subsidiaire », qui offre de meilleures conditions que l’admission provisoire, notamment en termes de prestations sociales, de liberté de mouvement, ou de regroupement familial.
Le 20 août, la CIP-E a, quant à elle approuvé les quatre paquets de la réforme. Sur le mécanisme de solidarité, elle a notamment accepté un compromis prévoyant que la Confédération pourra prendre des mesures de solidarité, financières surtout, à condition que le système de Dublin fonctionne bien dans l’ensemble à l’égard de la Suisse.
Notre position
Le CSP, avec la Coalition des juristes indépendant∙es pour le droit d’asile, a critiqué en profondeur la réforme dans le cadre de la consultation[2]. Nous y dénoncions une grave érosion des garanties procédurales et une attaque aux droits fondamentaux des personnes en exil . Le système mis en place ne s’attaque absolument pas aux causes de la migration secondaire, il ne fera que rendre les chemins encore moins sûrs et plus chers, pour des personnes qui de toute façon prendront la fuite, poussées à l’exil par les persécutions, les conflits, les inégalités d’accès aux ressources mondiales et les catastrophes de plus en plus fréquentes.
Nos associations demande donc au Parlement de rejeter la proposition du Conseil fédéral et de l’enjoindre à revoir sa copie, afin que la Suisse utilise ses marges de manœuvre pour un renforcement de la protection des droits fondamentaux.
A minima nous demandons aux parlementaires, de soutenir les propositions faites par les Vert∙es et le PS lors de la discussion au National[3], et d’introduire certains garde-fous, de manière à ce que les droits des personnes en quête de protection soient placés au centre des préoccupations:
– Une participation contraignante et permanente au mécanisme de solidarité, sans compensation financière et avec exclusivement une prise en charge des personnes en quête de protection
– La création d’un statut de protection alignée avec le statut européen de protection subsidiaire,
– La prolongation du délai de recours contre les décisions Dublin,
– L’élargissement et harmonisation de la notion de famille aux parents des mineur·es non accompagné·es
– Un usage de la clause de souveraineté de Dublin pour se montrer plus solidaire et plus généreuse ainsi qu’une des critères contraignants pour les cas où elle est tenue de le faire
– Des conditions plus strictes pour ordonner une détention administrative Dublin, un raccourcissement de la durée maximale de détention administrative, ainsi qu’un contrôle judiciaire automatique après 96 heures de détention Dublin.
[1] Les règlements constitutifs du RAEC peuvent être consultés ici disponibles sous https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/05/14/the-council-adopts-the-eu-s-pact-on-migration-and-asylum/
[2] Voir prise de position des CSP : https://csp.ch/geneve/pacte-europeen-sur-la-migration-et-lasile-une-grave-atteinte-aux-droits/; et de la Coalition : https://www.sosf.ch/sites/default/files/2024-11/241113_Vernehmlassung-Asylpakt_Bu%CC%88ndnis.pdf
[3] Voir : https://www.sosf.ch/sites/default/files/2025-06/250616_Nein_zum_Abschottungspakt_NoGEAS-Bundnis_Factsheet_FR.pdf